Ma première course américaine – semi-marathon
En attendant le départ
Samedi, 4 novembre 2017, Lenoir, North Carolina (Caroline du Nord) aux États-Unis. L’aventure commençait comme mon premier marathon pieds nus en 2012 — sous une pluie battante. 8 h 30, mon frère m’accompagne au départ du 4th Annual Meleah Mikeal Half Marathon. Une dizaine de voitures dans le parking, alors que les retraits de dossard finissaient dans 10 minutes, pour un départ à 09:00. Une ligne d’arrivée/départ gonflable rikiki, comparée aux courses en France. Je commençais à croire que ça allait être un semi-marathon très… intime.
Aucune vérification d’identité pour récupérer le dossard, la puce à chaussure, et les goodies. La liste d’inscrits était bien courte, même pas deux pages entières. La bénévole m’a stabiloté le nom en rouge, m’annonçant que nous étions 44 inscrits sur les 13,10 miles (20,7 km). Premier choc — dans ces contrées-là, personne ne connaît les kilomètres. J’avais laissé tomber les miles à mon départ définitif de mon pays d’origine, en 1993.
Quelques regards curieux, mais bienveillants des autres participant. e. s par rapport à mes sandales huaraches. J’ai fixé mon dossard, numéro 222, et puis ma puce, à l’ancienne, à l’aide d’un serre-flex, à hauteur de la cheville droite, en l’absence de chaussures. Cela fait des années qu’on a laissé tomber cette solution de chronométrage au profit des puces intégrées aux dossards, même dans les petites courses locales. Mais ici, à ma question on me répond que le surcoût avait forcé la décision.
65 dollars, un peu plus de 55 euros, pour un semi – cher payé la course, à mon avis. Heureusement, le maillot à manche long est très présentable. Pour la première fois de la journée, je médite sur l’avenir de la course à pied sur route — j’entends dire que le déclin des inscriptions de ce genre d’épreuve aux États-Unis est encore plus prononcé et ancien qu’en France — un signe de ce qu’on peut attendre chez nous ?
Quoiqu’il en soit, l’ambiance est chaleureuse, l’air moite et chaud parce que le QG est installé dans la piscine municipale ! La pluie tombe sans interruption à l’extérieur, mais il fait doux, probablement autour de 15 °. Les coureurs se scrutent subrepticement — je crois que tout le monde se méfie des participant. e. s les plus minces et affûtées. Il y a des choses qui ne varient pas, de pays en pays !
Sur la ligne de départ du semi-marathon de Lenoir, en Caroline du Nord, Etats-Unis. Ca se bouscule pas …
À T-10 je remonte le trottoir vers le parking, pieds nus, et tout le monde me suit — le berger pieds nus amène son troupeau à la pâture ! La speakerine m’informe qu’elle a déjà eu des coureurs pieds nus sur d’autres courses, et s’excuse ne pas avoir amené un scratch pour accrocher la puce à ma cheville. J’avais un instant craigné que l’orga me refuse de prendre le départ pour cause d’absence de chaussures, mais rien.
Départ
Départ du semi-marathon de Lenoir, en Caroline du Nord, Etats-Unis. Je pars devant …
Ça doit exister en France, des courses avec même pas 40 athlètes sur la ligne de départ, ou on ne se bouscule pas du tout pour être devant. Les participants du semi sont d’ailleurs mêles aux 1OK et aux 5 K, sans distinction. À 9 heure pile, un appel de corne de brume, et le petit groupe est parti en catimini dévaler la pente vers la vallée, où nous allions passer l’essentiel de la course à arpenter les pistes cyclables de la commune.
Peu de temps après, le seul véritable obstacle pour un coureur pieds nus — quelques centaines de mètres de sentier avec de gros graviers, entrecoupé de grosses flaques boueuses avec des surprises désagréables pour les plantes. Plusieurs fois j’ai foulé de grosses pierres, mais je n’ai pas trop cédé de vitesse, car ce passage difficile était en aller-retour avec un point de retour marqué en toute simplicité, loin de tout regard, par un panneau en plein chemin. Aucun risque de triche, par contre. Ici, dans le sud des États-Unis, on n’enfreint pas les règles, c’est le « Bible Belt », là où la bible fait souvent plus la loi que les règles des hommes. Hors de question de gruger, grappiller quelques secondes en faisant demi-tour un peu plus tôt.
C’est alors que j’ai compris qu’il n’y avait pas grand monde devant moi. J’ai compté une petite poignée de coureurs, dont une femme, qui ont croisé mon chemin dans le sens envers. J’étais alors presque dans le rouge, avec une moyenne bien en dessous de 5 minutes au kilomètre. Peu de temps après, de retour sur la piste cyclable, j’ai rattrapé un jeune homme, Aidan, qui allait m’accompagner jusqu’à la fin de la course.
La course en bavardant
Ce compagnon de route réglait un vrai problème — je n’étais pas du tout sûr de pouvoir rester motivé pendant la durée de la course, tout seul entre le groupe de tête et le reste de peloton. Jamais dans l’histoire de mes courses je n’avais couru seul. Aidan L. allait me simplifier la tâche. En parfait accompagnateur, cet ex-marine, cycliste et coureur d’ultra est resté à mes côtés (sauf dans les descentes). Régulier, véloce, soucieux de ne jamais me coller ni de me freiner, il m’a vraiment rendu un fier service.
Mais alors — quel bavard ! Malgré un rythme qu’on s’est imposé un peu sans nous concerter, il arrivait à papoter entre respirations. Une foulée bien plus lente (malgré ses Altra minimalistes), mais plus élancée, il tenait parfaitement à mon allure. Heureusement qu’il trouvait plein de sujets pour son monologue, car en fait, je n’avais pas vraiment les moyens pour lui donner des réponses nuancées à ses questions et remarques. J’ai retenu qu’il habitait à San Diego, qu’il avait 21 ans, et qu’il était en train de goûter au chômage après 4 ans dans les forces armées en tant que marine, et qu’il était plutôt artiste et poète, et… anti-militaire/anti-police !
La première fois que j’ai remercié un policier qui bloquait la circulation pour nous laisser passer, Aidan m’a lancé que ce n’était pas la peine, le gars était la, contraint et forcé, et pas en tant que bénévole. Bon. Peu de temps après, j’ai voulu le remercier d’avoir eu le courage d’aller risquer sa vie loin de chez lui — pareil — il m’a dit que ce n’était pas la peine, qu’il avait l’impression d’arnaquer les bons citoyens honnêtes, lui qui avait fait ce choix pour voyager et se payer des études de linguiste et d’électronique, faute de moyens financiers…
En plus, très calé sur la politique étrangère américaine, et extrêmement critique de Donald Trump. Vraiment un drôle d’oiseau, mais intelligent et divertissant. Je pense reconnaître une habitude d’ultra-marathonien, habitué à courir plus lentement, mais en discutant des heures avec ses co-concurrents. Le semi, c’était juste un entraînement pour lui pour garder le niveau obligatoire en course à pied pour son service militaire. Visiblement, il n’avait pas encore réussi le saut vers la vie de civile !
En tout cas, je préfère parler de lui, mon premier véritable contact avec un coureur américain, plutôt que de commenter en détail le revêtement et les états d’âme de mes pieds tout au long du parcours. En synthèse, aucun revêtement difficile, même dans les quelques boucles dans les banlieues de Lenoir, donc pieds en très bon état jusqu’à la fin de la course. Et des flaques, voire même des passages inondés, à volonté, un vrai bonheur pour mes pieds nus. Mon marine accompagnateur a franchi toutes ses flaques avec le plus grand aplomb, sans jamais dévier de sa trajectoire, pour éviter de me gêner. Un vrai comportement de soldat discipliné — très impressionnant.
Plusieurs fois j’ai exhorté Aidan à partir sans moi, surtout dans les descentes ou je ne pouvais pas répondre à sa vitesse. Mais à chaque fois je le retrouvais un peu plus loin, quand le parcours redevenait plat. À quelques kilomètres de la fin ont commencé ces échanges que je connaissais de ma « carrière » de coureur cycliste : « Alors, comment tu te sens ? » auquel il ne fallait pas forcément répondre avec franchise, car il ne fallait pas dévoiler son vrai état de fatigue. Donc difficile à dire avec certitude s’il fallait croire ses lamentations sur l’état piteux de ses quadriceps, les ampoules en devenir dans ses chaussures à cause du bitume, etc.
Largué dans la dernière montée
Moi j’en disais le moins que possible sur mon propre était, essayant plutôt d’accélérer un peu pour l’empêcher de me poser des questions 😉 Mais je savais bien qu’il devait lui rester plus de force musculaire qu’à moi, qui avait sûrement deux fois son âge. Donc, ce que je prédisais haut et fort, c’est produit — il m’a déposé dans la dernière montée d’un kilomètre. Mais je ne pouvais point le lui en vouloir — il a largement mérité d’arriver devant moi après un si long effort partagé.
En fin de compte, j’ai croisé la ligne d’arrivée en 1 h 44 min 32 s, exactement le temps que j’avais espéré. Pieds en parfait état, heureux d’avoir si bien organisé ma course, et amusé d’avoir fini 6e sur 39 participant. e. s, 5e dans les masculins, et premier de ma catégorie d’âge ! une première, en faite ! La course devait surtout servir à consolider ma résistance plantaire et endurance avant ma prochaine course, le semi de Boulogne Billancourt, qui aura lieu dans deux semaines. À voir si j’arrive à passer sous les 1:40. En tout cas, émouvant de participer à un événement sportif au fin fond des États-Unis, et discuter avec des personnes venues de tout horizon. Un seul noir, mais presque la moitié de participant. e. s femmes. On en est loin, en France… Et cela, dans un état sudiste, ultraconservateur, dans une région défavorisée du pays, et très pro-Trump. Fascinant.
Meleah Mikeal Half Marathon, 5k & 10k Results
Mes résultats officiels – pas si mal !